ULRIKA BYTTNER

 

 

 

“LEGEND OF THE SEVEN DREAMS” (1)

Un tel hasard ne peut exister: la rencontre simultanée du travail de Ulrika Byttner et de la réédition de deux textes fondamentaux de Alfred Kubin (2), c’est inespéré: l’artiste Autrichien écrit: “La vie nous apparaît désormais fluide, brute, triomphante et possédée” (3) et Ulrika Byttner dessine une femme dévêtue en skate board avec un chapelet d’olives... Chaque regard sur un de ces dessins et chaque page lue s’entrecroisent et se superposent, ça fait aussi un plan et là, on ne sait plus qui remercier...

“La plume est pour moi, depuis de nombreuses années, l’instrument de travail le plus important. on peut réussir d’emblée à la manier avec confiance mais on ne parvient jamais à la maîtriser totalement; on se réjouit alors de l’infinité de ses possibilités. Sa souplesse nous garantit une transcription immédiate non seulement de l’imagination mais aussi de l’inexprimable agitation intérieure qui l’accompagne” (4). Ça commence dans le salon, Ulrika Byttner déroule de la cheminée à la banquette le rouleau de papier à dessiner, elle s’agenouille sur une planche avec sa plume et sa bouteille d’encre de chine et c’est parti... Ça demande un état d’esprit, une mise en condition, il faut avoir fait “le vide dans sa tête” (5) avoir évacué toutes ces bonnes idées... C’est risqué aussi car il n’y a pas de croquis préalable, c’est le tout pour le tout. Les différents éléments viennent consteller la feuille, c’est un peu comme une toile de Jouy. Ça donne aussi, à la fin, une composition parfois étalée, étoilée...  des lignes peuvent surgir; dans ce dessin, il y a une sorte de grande diagonale qui va se diviser juste après le centre. Ces lignes se construisent donc avec différents éléments, un monde s’est constitué, fixé... il y a les sapins, les crânes, les îlots avec les petites maisons accolées à un arbre proches de certains arrière-plans de Philippe Perrot, les femmes nues ou presque en santiag, les sabots... parfois il y a des métamorphoses: le sapin devient Tour Eiffel, le rôti se transforme en tête d’animal... on a envie de pénétrer plus profondément dans certains dessins de cet univers, les branches de ce sapin sont comme des coulées, le capitonnage de ce divan devient par le graphisme autant d’orifices étranges. L’oeuvre a à voir avec son origine, sa date de naissance, ce n’est donc pas un hasard si l’on retrouve régulièrement dans cet univers les trolls, lutins des légendes nordiques et les lussekatts, gâteaux Suédois en forme de spirale ou d’étrons... la nourriture y joue un rôle important, on a déjà noté le rôti, il y a aussi les côtelettes et Ulrika Byttner cite les natures mortes baroques, en particulier Snyders comme une source possible pour ces réunions sur la table autour du cygne de dépouilles d’animaux, poissons, darnes de saumon, légumes, fruits... A propos de l’élève de Rubens, Charles  Sterling devient lyrique: “Snyders dresse de fabuleux amas des dons de la terre que rythme un mouvement large et somptueux” (6). C’est aussi toute la période maniériste que l’on peut évoquer , ainsi ces corps féminins aux articulations si marquées évoquent les figures fantastiques aux formes géométriques de Gianbattista Bracelli (Gênes 1624) ou encore à la même époque les corps superposés des acrobates de jean Viset. Les réunions d’animaux, de fruits, légumes, plantes renvoient aussi à toutes les planches d’étude maniéristes. Lorsqu’il y a des animaux, ils  sont régulièrement dessinés dans des poses, “les quatre fers en l’air”, leur ventre exhibé de façon grotesque un peu comme ces sculptures animalières de Barye ou Frémiet à la fin du siècle précédent que l’on peut voir sur quelques unes de nos places publiques.

“Le dessinateur se  réjouit de la simplicité merveilleuse de son art, qui lui permet de se contenter d’une plume d’encre de chine et de papier. Il invente ses créatures, imagine et justifie des choses impossibles” (7). Il y a dans l’oeuvre d’Ulrika Byttner une série de formats, nous avons déjà évoqué ces grands dessins panoramiques, il y a aussi des formats grand aigle et aussi le scolaire 24x32cm, à chaque fois c’est le même dispositif qui se met en place, les éléments de la famille arrivent et se disposent sur la feuille, formellement (et à première vue) ça paraît toujours le même dessin, “Legend of the seven dreams” retenu comme titre renvoie à tout ce courant de jazz dit nordique, en dehors de cet univers entre légende et rêve (Ulrika Byttner, elle, parle plutôt de rêverie) le choix du saxophoniste Jan Garbarek pose ce problème d’une œuvre qui s’est définie et qui, dans ce cadre, offre à chaque nouveau disque une merveille: “Lorsque je compose, c’est comme si je revenais à des choses qui me sont familières, la mélodie ou les accords sont nouveaux mais je les reconnais, je me sens comme chez moi” (8). Dans la postface de “Le cabinet de curiosités et autres textes”, Christophe David note la concordance entre dessin et écriture dans la construction de l’espace poétique chez Kubin, il note aussi comment cet espace participe de la vision panoramique et comment cette illusion va permettre d’articuler les huit histoires de “Le cabinet de curiosités”. Dans les dessins de Ulrika Byttner, les éléments du premier plan sont là, il commence dans ces débuts de paysage à s’annoncer une perspective, un arrière-plan mais c’est aussi à nous de relier tous ces éléments, dans “Paris, capitale du XIXe siècle”, Walter benjamin cite Max Brod: ”Quelqu’un a-t-il encore envie d’aller avec moi dans un panorama?”

(1) Jan Garbarek: “Legend of the seven dreams” ECM 1381, Munich 1988.
(2) Alfred Kubin: “Le cabinet de curiosités”, “Le travail du dessinateur” éditions Allia, Paris 2007.
(3) Alfred Kubin: “Le travail du dessinateur” éditions Allia, Paris 2007.
(3)  “Le travail du dessinateur
(4) Rencontre avec Ulrika Byttner le 22/05/2007.
(5) Charles Sterling: “La nature morte” Macula, Paris 1985.
(6) “Le travail du dessinateur
(7) “Jan Garbarek, les abstractions d’un jazzman”: Le Monde 10/11 octobre 2004.

 

Yves Brochard

 

Exposition du 15 septembre 2007 au 27 octobre 2007

Ulrika Byttner est née en 1968 à Arvika (Suède), elle vit et travaille à Paris.